La marche – Paroisse du Saint-Esprit – Jeudi 12 décembre 2019 – Toulouse
Jeudi 12 décembre 2019
C.I.E.U.X. Toulouse – Paroisse du Saint-Esprit – 2 Rue de Saintonge, 31100 Toulouse
Thème : La marche
494ème rencontre
Restitution des interventions de la rencontre de Cieux-Toulouse,
du 12 décembre 2019, à la Paroisse du Saint-Esprit
Compte rendu
« Pourquoi marcher ? »
La marche nous procure l’autonomie nécessaire à notre subsistance et notre survie. Le progrès technique en a réduit la pratique, mais elle reste incontournable dans de nombreuses circonstances souhaitées ou subies dans nos vies : activité quotidienne, migrations, exodes, guerres …
Libérée de multiples contraintes, la marche reste volontairement pratiquée par beaucoup : sport, santé, aventure, réflexion, méditation, pèlerinage …
Qu’est-ce qui nous y pousse et qu’espérons-nous y trouver ?
Avec les interventions de :
- Stéphane Garros, de conviction musulmane
- Chantal Dekyi, de conviction bouddhiste
- Rabbin Doron Naïm, de conviction juive
- Astrid Olive, de conviction chrétienne
- Michel Rouffet, de conviction humaniste
Introduction par Patrick Vincienne, coordinateur de Cieux-Toulouse
Pour commencer, avez-vous déjà songé aux différents sens de ce mot ?
- Marcher, au sens propre, est un verbe d’action qui implique un déséquilibre, c-à-d une mise en danger, le risque de la chute afin de se projeter vers l’avant puis recommencer, pour atteindre un équilibre dynamique continu. Un automatisme réflexe échappant au cerveau comme d’ailleurs pour les battements de notre cœur ou notre rythme pulmonaire. Et ça fonctionne ! petit miracle de notre vie organique, manifestation évidente de la vie tout-court à laquelle nous ne pensons généralement pas, notre pensée étant rendue disponible pour d’autres travaux. La marche nous dit que nous sommes faits pour nous mouvoir et pour explorer.
- Au sens figuré, marcher signifie : fonctionner correctement comme une machine bien huilée. Quand tout va bien, ne dit-on pas « ça marche ! » ?
- On parle de se mettre en marche au sujet d’un train ou d’un moteur. Mais on le dit aussi dans le contexte immatériel de la pensée, voire de la spiritualité quand s’agit d’opérer un déplacement, une remise en question, On parlera aussi d’une armée en marche, de la marche de l’histoire …
- Cela pose la question des chemins que nous empruntons et de la direction dans laquelle nous choisissons d’aller, sans d’ailleurs jamais être sûrs d’en atteindre le bout : randonnées, croisade, pèlerinage, migration, nomadisme, exil, promenade, manif, etc.
- La question du sens de la marche nous parait alors d’autant plus importante qu’elle a un lien avec le sens que nous donnons à notre vie. La destination future parait-elle lointaine ? nous éprouvons alors que c’est le voyage présent qui importe.
- La marche désigne encore le seuil d’entrée d’un espace particulier comme une maison, une région. Elle est le lieu de franchissement d’une limite. La marche de l’escalier est ajustée à la dimension du pied : une façon confortable de nous élever, à la hauteur du pas, à la mesure de nos moyens. Une étape, un jalon.
- On peut marcher en arpentant les chemins du monde, on peut également marcher dans sa tête en rêvant éveillé.
- Dégagée de tout artifice technique, la marche nous déconnecte des réseaux ou des écrans, nous plonge hors du temps et favorise une quête de vérité. Elle active aussi bien notre physique que notre mental et nous met simultanément au contact de la terre qui nous porte et nous nourrit, et du ciel qui nous éclaire et nous inspire. Elle favorise les relations avec nos semblables.
- La marche n’est pas subie, elle est action, naturelle, saine, économique, écologique, expérience sensorielle et lieu naturel de rencontres, elle nous rapproche des éléments : le soleil, les sommets, les gouffres, l’eau, le vent, l’horizon, le firmament, et cette dimension existentielle dont nous privent le rythme et les lieux de nos vies modernes : beauté de la nature, bruits, saveurs, odeurs, visages.
- Autrefois, par nécessité, les routes étaient encombrées de marcheurs de toutes sortes, paysans, marchands et colporteurs, missionnaires et pèlerins, … et une personne du peuple n’avait pas d’autre choix.
- Aujourd’hui on marche moins, mais souvent par plaisir naturel et en réponse à un réflexe ancestral qui nous rappelle le nomadisme et les migrations.
- Nombre de penseurs étaient de grands marcheurs qui en éprouvaient une grande joie : Rimbaud, Kant, Nietzsche, ou Rousseau qui écrivait : « jamais je n’ai tant pensé, tant existé, tant vécu, tant été moi, que dans les voyages que j’ai faits seul et à pied ».
- La marche nous fait ressentir la déconnexion comme une délivrance. On tourne le dos au culte de la vitesse, à l’accumulation des biens, préférant la lenteur et la légèreté du bagage, la simplicité et la pureté des idées. On s’allège en abandonnant au bord du chemin ce qui nous semble inutile, on redécouvre des plaisirs simples. On dénoue ses attaches, on prend le large, on s’élève.
- La marche, accessible à tous est un des derniers espaces de liberté, loin des indicateurs de performances et de l’économie marchande. Elle est enfin un authentique exercice spirituel qui ne nous rend pas plus intelligent, mais peut-être plus féconds et disponibles, car il nous permet de rencontrer le monde et ceux qui l’habitent.
Alors, j’ai envie de demander à nos invités de ce soir : « pourquoi marcher ? »
Intervention de Stéphane Garros, de conviction musulmane
C’est une excellente question et la poser en corrélation avec une religion ou une spiritualité nous invite à réfléchir sur la profondeur de cet acte qui au fond dépasse sans doute, (et heureusement ?) le seul fait de se déplacer d’un point à un autre.
Si on observe le contexte de la révélation coranique, on s’aperçoit que l’islam est révélé en un lieu de la péninsule arabique, La Mecque, entouré de terres arides ou désertiques et que cette ville se trouve sur le passage des grandes caravanes.
L’islam est donc né dans une terre de commerçants, de caravaniers et de voyageurs.
Le Prophète Mohamed lui-même était caravanier.
Et la révélation Coranique débuta dans une caverne du mont Hira près de la Mecque, où le Prophète Mohamed qui y reçut la première révélation par l’Ange Gabriel, avait coutume de se rendre pour méditer.
On peut voir aussi que bon nombre des prophètes cités dans le Coran, comme Jésus, Moïse, Abraham, Loth et d’autres ont des pratiques fortes de la marche, du voyage ou même de l’Exil pour certains.
La révélation coranique est donc triplement reliée à la notion de la marche ; par le lieu où fut révélé le Coran, par son récepteur, le prophète Mohamed et par son texte sacré, le Coran qui comme je viens de le dire nous raconte des histoires de départ, d’exode, d’exils et de traversée du désert.
Avant de développer, j’aimerai citer ce verset coranique, le verset 63 de la sourate 25 (Le discernement) : « Les serviteurs du Tout Miséricordieux sont ceux qui marchent humblement sur terre, qui, lorsque les ignorants s’adressent à eux, disent : « Paix » »
On peut y comprendre la marche comme vectrice de paix, d’aller vers et d’humilité, trois belles notions chères à nos spiritualités et religions.
On retrouve cette humilité à travers la marche dans un autre verset, le verset 37 de la sourate 17 (le voyage nocturne) : « Et ne foule pas la terre avec orgueil : tu ne sauras jamais fendre la terre et tu ne pourras jamais atteindre la hauteur des montagnes ! ».
Les péripatéticiens, disciples d’Aristote que des philosophes musulmans tels que Avicenne et Averroès par leurs commentaires feront connaitre à l’occident, avaient l’habitude de se promener avec leur maitre en parlant et réfléchissant.
Il est aussi demandé aux femmes et aux hommes dans le Coran d’observer la beauté de la nature et de toute la création et à travers cette observation d’y détecter les signes de la Grandeur de Dieu.
En écoutant même le verset 115 de la sourate 2 (La Vache) qui dit « …Où que vous vous tourniez, là est La Face de Dieu… » on comprend qu’on peut trouver dans une marche attentive et spirituelle la présence permanente de Dieu.
Dans un hadith (traditions relatives aux Paroles de Dieu ou aux paroles et actes du prophète Mohamed ou de ses compagnons), Dieu dit : « Lorsque Mon serviteur se rapproche de Moi d’un empan, Je me rapproche de lui d’une coudée. Lorsqu’il se rapproche de Moi d’une coudée, Je me rapproche de lui d’une envergure (de bras). S’il vient à Moi en marchant, Je viens vers lui avec empressement ».
La pérégrination (Al-Siyâha) tout comme le voyage (Al-Safar) sont considérées dans certains courants de l’islam comme une méthode spirituelle.
Le verset 112 de la sourate 9 (Le Repentir) dit « …heureux les repentants, les adorateurs, ceux qui proclament Sa louange, ceux qui pérégrinent… ».
Le grand pèlerinage (Hajj) est un des cinq piliers de l’islam. Un musulman qui en a les moyens doit le réaliser au moins une fois dans sa vie. Il se réalise sur plusieurs jours selon un rite précis qui emmène les pèlerins à beaucoup marcher. Il y a des symboliques fortes comme la circumambulation autour de la Kaaba, les allers-retours entre Safâ et Marwah qui symbolise l’errance d’Agar à la recherche d’eau pour son fils Ismaël dans le désert.
Il existe aussi le petit pèlerinage nommé Umrah.
Pour se rendre au Hajj, ce fut dans le passé où les moyens de locomotion n’étaient pas ceux d’aujourd’hui, l’occasion d’un long voyage éprouvant et risqué pour un bon nombre de pèlerins qui affluaient d’Afrique, d’Asie, d’Europe. La marche était alors un grand engagement de foi.
Dès le départ, en Islam le voyage et la mobilité sont omniprésents.
Le modèle en est l’hijra (émigration) du prophète Mohamed de la Mecque vers Médine.
Cet hijra est un déplacement physique et spirituel qui marque officiellement le début de l’islam en ce sens qu’il est constitutif du calendrier musulman qui débute à l’an zéro à ce moment-là.
Abu Bakr qui accompagna Mohamed dans la hijra et qui fut le premier calife et le successeur du prophète Mohamed a dit : « Je veux parcourir le monde et servir mon Dieu »
Dès le début le voyage et la mobilité sont présent par nécessité de commerce avec les caravanes mais donc aussi pour propager la parole de l’islam.
L’islam, contrairement aux idées reçues ne s’est pas répandu uniquement par des conquêtes militaires, mais aussi par des marchands ou des savants comme dans le sud asiatique ou l’Afrique noire.
Au temps qu’on appelle communément l’âge d’or de l’islam, on comptait de nombreux voyageurs musulmans car il était demandé aux croyants de rechercher la science.
L’islamologue Eric Geoffroy rappelle que dès le début il y a eu un débat : Vaut-il mieux chercher Dieu sur place sans bouger, dans l’élan du voyage intérieur ou au contraire, comme le dit Ibn Arabi « Parcourir la terre pour pratiquer la méditation et se rapprocher de Dieu » ?
Ibn Arabi qui disait aussi que la pérégrination terrestre permet de participer consciemment au « voyage universel sans fin ni dans ce monde ni dans l’autre et à tous les degrés de l’Être », « Tu es à jamais voyageur, de même que tu ne peux t’établir nulle part ». Le voyage n’a pas de fin, car son but est infini ; de la sorte, on ne dépasse jamais une station sans qu’en apparaisse aussitôt une autre…
Sur des considérations plus terre à terre et plus actuelle je rappellerai la marche que nous sommes plusieurs autour de la table à avoir partagé cet été sur 4 jours entre Montauban et l’Abbaye d’En-Calcat, lieu d’arrivée le jour de la Saint-Jacques (la marche étant organisé par l’association « Compostelle-Cordoue »).
Ce fut un grand moment de rencontre, de partage et de cheminements physiques et symboliques entre plusieurs générations, cultures et religions.
La marche est un moment privilégié où le temps accorde des présences successives au silence, à la respiration, à la méditation, à la parole, à la prière et au chant.
La marche a été pour moi une douce respiration dans un monde qui a tendance à s’emballer.
Je l’ai perçu comme ce juste milieu entre deux maux de notre époque, l’immobilisme d’une part et la course effrénée d’un monde qui prône la vitesse dans tous les domaines.
La canicule fut certes une épreuve pour moi et source d’une grande fatigue mais j’avais chaque soir ce sentiment qu’il y a réellement deux sortes de fatigue. Une saine, celle qu’on partageait ensemble et une, toxique nerveusement, celle de nos quotidiens où nous n’avons jamais le temps.
Durant cette marche j’ai réfléchi à la question très actuelle des migrations dans notre monde et j’ai pris conscience que tout comme chaque marche a un début et une fin, le migrant est souvent perçu comme un immigré, celui qui arrive alors que lui se définit souvent comme un émigré, celui qui a dû partir et s’arracher avec douleur à sa terre. Tout est affaire de perspective et de perception.
La marche, c’est aussi la vie. Nous sommes tous dans cette avancée qui nous a vu quitter ce départ qu’est la naissance pour partir vers cette arrivée, ce retour à Dieu qu’est la mort.
Et j’aimerai conclure par cette parole de Gandhi, afin de rajouter une religion à celles présentes autour de cette table : « Il n’y a pas de chemin pour la paix, la paix est chemin ».
Voilà pourquoi sans doute nous marchons tous ensemble.
Je vous remercie pour votre écoute et votre attention.
Intervention de Chantal Dekyi, de conviction bouddhiste
La première marche est celle de l’enfant qui fait ses premiers pas. L’enfant qui se lève pour marcher, représente l’indépendance, le pouvoir de se déplacer, d’aller à la découverte. Agrandir son champ de vision et d’expérience. C’est adopter la station debout, entre ciel et terre. Les pieds sur le sol et la tête pointant vers le ciel.
Marcher c’est poser les pieds sur le sol, s’appuyer sur la terre et imprimer ses pas, imprimer sa trace sur la terre, s’ancrer en elle. La terre, comme une mère, est le soutien de la vie, le soutien des êtres. Elle nous nourrit. Elle nous porte, et elle nous soutient dans toutes nos activités. Toutes nos activités humaines sont possibles parce qu’elle est nous sert de socle, elle est notre base.
La terre supporte tout ; elle ne juge pas, et elle ne se plaint pas. Elle soutient ses enfants.
Quand nous marchons, nous imprimons nos pas et elle accueille nos pas, et il semble qu’elle reçoive tout, qu’elle tolère tout. Sa patience est infinie, du moins semble être sans limites. Il se pourrait cependant que si les êtres humains dépassent les bornes en exploitant à outrance leur environnement et les ressources qu’elle nous donne, la terre et les autres éléments finissent par nous rejeter.
Il y a différents types de marches, dépendant de ce qui nous meut, nous anime, nous motive. Quand nous marchons, avec nos pas, nous imprimons sur la terre nos intentions. Notre motivation.
D’après ce qui nous anime, la marche peut être militaire ou pacifique. Politique. Elle peut être promenade pour le loisir, ou pour le sport. Ou même funèbre.
On marche seul, ou ensemble. On peut marcher pour quelque chose, ou contre quelque chose.
Les grandes marches qui réunissent, ou ont réuni des foules dans l’histoire, sont aussi devenues des moyens de protestation ; ou au-delà de la protestation, le moyen de porter une cause. Comme les marches blanches des parents d’enfants disparus. 0n marche pour le climat, pour la paix, pour les retraites.
Le 2 octobre 2019, à l’occasion des 150 ans de l’anniversaire de la naissance de Mahatma Gandhi, une marche appelée Jai Jagat 2020, prévue durer un an, a commencé à Delhi pour rejoindre Genève. Marche de 14000 km, pour la paix et la justice à travers 10 pays, qui sera rejointe par des marches séparées démarrant dans divers pays en Europe et Afrique. Pour interpeler la communauté internationale et promouvoir une façon plus juste de vivre ensemble, ses participants marcheront aussi pacifiquement dans des zones de guerre, pour montrer qu’il y a des gens qui croient en la paix.
La marche est pèlerinage. Elle est inter-convictionnelle, comme certain.e.s d’entre nous le vivent à Toulouse depuis 3 ans. Ce sont des évènements qui permettent la rencontre entre personnes qui, bien que de voies différentes, marchent dans la même direction.
La marche est méditative, pour nous aider à développer des qualités d’attention, de concentration. Une méditation classique consiste à utiliser la respiration pour développer un esprit plus attentif, plus calme. A la place, on peut se servir de la marche consciente comme outil pour développer un esprit plus vigilant. Marcher consciemment, et non en pilote automatique. C’est un outil pour s’ancrer dans le moment présent, qui nous permet de calmer l’esprit, de le clarifier afin de développer l’introspection, l’analyse.
Quand on se déplace, on n’est pas figé. On lâche nos repères habituels, et on lâche prise. Cela facilite l’ouverture d’esprit. En mouvement on est plus disponible, on peut être plus réceptifs et inspirés.
Je me souviens des randonnées de montagnes quand j’étais jeune, dans les Pyrénées. On y apprend qu’en mettant un pied devant l’autre, on progresse et on finit par arriver. Et qu’à force d’effort, de courage et de persévérance, même si le but semble fort éloigné, et même hors de portée, et que parfois on désespère de jamais l’atteindre, en prenant le temps, en continuant, on y arrive.
Cela s’applique aussi au chemin spirituel. Le chemin spirituel concerne l’esprit, la conscience.
Un chemin nous permet de progresser, d’aller d’un point à un autre. Dans la spiritualité, le chemin nous permet d’aller d’un état non-éveillé, d’endormissement, à un état d’éveil.
Le chemin spirituel consiste à développer des états de conscience qui nous font avancer, progresser. Pour n’en citer que quelques-uns : l’éthique, l’amour, la compassion, la patience, l’humilité, la sagesse. Ce sont des voies que nous marchons.
Un chemin c’est aussi un passage tracé par d’autres qui sont passés par là avant nous. Le chemin facilite la progression (marcher physiquement là où personne n’est passé auparavant, dans une forêt par exemple pourrait s’avérer compliqué… on rencontrerait divers obstacles qui nous empêcheraient d’avancer, et on pourrait se perdre facilement).
Sur le chemin spirituel, d’autres, plus sages que nous nous ouvrent la voie et nous suivons leurs pas. Cela nous évite de nous perdre. Pour moi, rencontrer la voie bouddhiste fut un moyen de donner un sens à ma vie alors que je cherchais comment donner un sens à ma vie.
Pour cela il existe des voies différentes avec des prophètes, des précurseurs, des sages différents qui ont montré différentes méthodes pour parvenir au but ultime. Là aussi, sur le chemin spirituel, en continuant un pas après l’autre, même si le but semble distant, on finira par arriver.
Intervention du Rabbin Doron Naïm, de conviction juive
(texte non communiqué)
Intervention de Astrid Olive, de conviction chrétienne
J’ai eu la chance de découvrir la marche par désir et pas par fuite ou par exil. Je n’étais pas une grande marcheuse enfant et adolescente, je soupirais volontiers à l’idée d’une randonnée. La marche est venue à moi à l’âge adulte, comme une forme de maturité grâce à deux marches majeures : la première, en 2017, année de mes 50 ans où j’ai souhaité, en forme de bilan et d’action de grâce, partir seule sur le GR 78, entre la cité de Carcassonne, lieu de mon mariage et la cité mariale de Lourdes, route jalonnée de lieux forts familiaux ou personnels.
Plus récemment, l’été 2019, j’ai fait la marche avec Cieux sur les chemins de Saint Jacques à nouveau, mais entre Montauban et Dourgne. Une marche en groupe, minutieusement préparée, alternant temps de silence et de dialogue interreligieux, et 5 soirées d’accueil dans un haut lieu de l’une ou l’autre communauté juive, musulmane, protestante, bouddhiste successivement en charge de nous enseigner, de nous régaler et de nous remettre le lendemain matin sur notre route, après une prière d’envoi, enrichis ensemble de cette halte.
Toutes deux m’ont comblée, m’apportant sus des angles très différents – l’une solitaire et introspective, l’autre collective et partagée cet essentiel qui happe et fait comprendre pourquoi la marche est essentielle.
Carcassonne-Lourdes : 300 km sur de la route dite d’Arles des chemins de Saint Jacques, qui longe le somptueux Piedmont Pyrénéen. 12 jours de solitude, de silence, un vrai luxe dans le joyeux tohu-bohu de la vie ordinaire rythmée par un cabinet libéral et une famille de 4 enfants. J’avais envie de m’extraire non tant par saturation que par un désir de prendre un temps pour moi de faire le point en moi, sure que ce serait aussi un temps avec mon Dieu, occasion de se mettre à l’écoute, de rendre grave et de faire relecture ensemble. Je partais aussi avec quelques questions en bandoulière. Convaincue que je ne reviendrai pas tout à fait comme avant, et que tout ne se passerait pas comme prévu. D’ailleurs pas grand-chose était prévu. Halte du soir organisée au jour le jour sauf la 1ere et la dernière, étapes approximatives, le grand saut commençait par là.
Et pourtant il faut s’arracher de cette vie ordinaire. Boucler ce qu’il faut avant de partir, se bousculer un peu plus, vivre quelques jours avec un sentiment ambivalent entre attente frénétique du départ et doute ; était-ce vraiment le moment ? Et puis le jour vient et nous pousse vers ce désert désiré et inconnu. En fait, prendre la route nous fait réaliser notre encombrement. Extérieur d’abord : au bout de 24 heures, s’alléger devient une urgence. On vide le 1/3 de son sac au gré des haltes. J’ai laissé une jolie pile chez les amis qui m’accueillaient le 1er soir, puis il m’a fallu une poste pour renvoyer le reste, tel livre, la moitié de ma trousse, tel rechange. Et distribuer le plus possible. Encombrement interne surtout, et celui-là est plus sournois. Il faut partir pour réaliser le boucan intérieur, les agendas en boucle et autres pensées fulgurantes qui fusent à chaque instant en soi même sans y penser. Qui ont leur utilité dans nos vies « pour soi et pour les siens ». Mais on ne réalise leur envahissement que là. Il faut bien 72 heures pour en venir à bout. La bonne nouvelle est que la marche le fait taire bien plus vite que le simple dépaysement ou départ en congé. Sans doute parce qu’elle est le mouvement naturel de l’homme qui permet de l’aligner en profondeur. Marcher au grand air donne un rythme aussi directif qu’apaisant au corps et à l’esprit. Une salutaire injonction au silence. On rentre dans un état paisible, pré-hypnotique disent les experts, qui fédère notre énergie et nos pensées et met en veilleuse et donc au repos notre cerveau tant sollicité. Lequel peut enfin faire émerger nos pensées profondes et nous rendre disponible à la rencontre et à recevoir.
Car la marche rend réceptif : en mettant un pied devant l’autre, en se taisant, en s’éloignant du quotidien et en découvrant ces routes et leurs décors inconnus, on permet à nos sens et à notre être profond de se déployer. Au bout de 4 -5 jours les dernières aspérités nous quittent. Adieu les ampoules, les courbatures, le poids, le bruit. Rien de volatile ni de virtuel pourtant. A l’inverse tout s’aligne en nous au gré des pas, s’incarne en gestes simples, ancestraux, profondément humains. Suivre le jour et la nuit, adopter le bon souffle, voir, écouter, sentir, gouter, être au contact. La simplicité et la beauté de la route, tous sens dehors, nous porte à la contemplation et à l’émerveillement. Le beau nettoie, répare et élève. On est alors disponible à recevoir de tout notre être. Et l’on n’est jamais déçu. Tel souvenir enfoui qui resurgit, les chants que l’on se met à fredonner que l’on avait parfois oublié, l’instinct se libère, les pensées se délient et se classent, la marche est un rendez-vous étonnant avec soi, intime, libérant et révélateur d’harmonie, bien loin de la satisfaction de soi ou de l’excellence.
J’ai réalisé que, bien qu’initiatrice de ma route, j’étais en fait attendue, accueillie par mon Dieu. Tel Osée il m’était dit « Je l’emmènerai au désert et je parlerai à son cœur. » au-delà de la réceptivité, tout m’était donné. On reçoit des phrases qui prennent un sens très personnel et se méditent en foulant le sol, qui s’incarnent donc, et qui font que l’on revient à la fois plus soi et à la fois jamais tout à fait comme l’on est parti. J’ai reçu l’une ou l’autre réponse à des questions ou intentions que je portais et que je sais données car formulées autrement, pétries, mises en perspectives. La marche permet aussi que l’esprit soit libre mais pas vagabond en errance.
La marche nous rende actif. Marcher c’est avancer. Bien que naturelle, elle demande l’effort de se mettre en route, de persévérer, de choisir ou l’on va fait et de lui donner un sens. La marche nous structure et nous rend acteurs. En marchant j’ai pensé à ces millions d’hommes et de femmes qui se sont mis en marche vers un but ou pour une cause à accomplir. Les prophètes ont été de grands marcheurs. Jésus a sillonné les routes de Palestine 3 ans durant, dans une démarche de rencontre et de proclamation de l’évangile. Cette vie publique a été immédiatement précédée d’un temps de marche solitaire dans le désert qui a clarifié, préparé et enraciné sa mission. Il a ensuite gardé cette alternance des marches d’actions, souvent accompagné, et de marches solitaires. Régulièrement, il partait seul et à l’écart prier et retrouver son père. Ce temps de la marche solitaire, qui ressource et renforce, nourrit celui de la marche et du partage, le temps du don et de l’accomplissement dans l’action. On retrouve dans la marche les dimensions verticales et horizontales, dans lesquelles il me semble se noue aussi l’humanité et mon identité chrétienne. L’été dernier, marcher sur les routes de Saint Jacques entre Montauban et En Calcat illustrait la richesse de la marche collective. Nous alternions temps de silence avec temps de partage, d’accueil et d’échange. La richesse de ces échanges était renforcée par la marche. Marcher ensemble, c’est avancer ensemble et dialoguer de manière plus active qu’autour d’une table dans la mesure où l’on fait route ensemble ; Les temps de silence permettaient l’enracinement des moments partagés et la paix du cœur qui permet un vrai accueil de l’autre.
« Lève-toi et marche » dit Jésus quand il guérit. La marche rend à la vie. Une parole qui invite à aller sans crainte excessive sur les chemins du monde et de la vie. Il n’a pas dit « lève-toi et fais attention ». J’aime cette invitation au monde là à laquelle, chrétienne, je suis invitée à répondre en m’engageant autant qu’en étant réceptive au monde tel qu’il est. La marche m’éduque à ce juste équilibre et nourrit le mien, physique, psychologique, spirituel, toujours positivement.
Alors pourquoi marcher ? Parce que la marche nous (re)met harmonieusement au monde, nous le révèle et nous l’apprend tel qu’il est, et tel que nous n’en ferons jamais le tour
Intervention de Michel Rouffet, de conviction humaniste
Bonjour, je suis Secrétaire Général de l’association « Compostelle-Cordoue », elle-même membre du collectif toulousain « Pour construire la paix, Osons la rencontre ». Ces deux structures organisent des marches collectives à Toulouse (la prochaine le 13 mai) et dans le monde (en septembre 2020 nous participerons à la marche Jai Jagat, reliant New Delhi à Genève, pour plus de justice, de paix et dans la non-violence). Je suis également passionné de marche et de nature.
J’essaie d’être humaniste, c’est-à-dire de placer au-dessus de toutes valeurs la personne humaine et la dignité de l’individu ; un humaniste a foi en l’homme (seul et en groupe) pour construire un monde meilleur ; l’humaniste n’a pas besoin de la preuve de l’existence de Dieu, mais beaucoup de croyants sont humanistes.
Comment la marche épanouit la personne humaine ?
A la suite de différents philosophes, je considère que l’homme combine différentes « natures » : sa nature physique (son corps), sa nature mentale (son affect et sa raison) et sa nature spirituelle (sa faculté d’accéder à l’universel).
Tous les médecins vous diront que la marche fait du bien à la santé du corps ; beaucoup recommandent de marcher au moins 30 mn par jour ; on fait travailler ses muscles, on s’oxygène, d’autant plus que l’on marche dans la campagne ou la montagne ou en bord de mer.
Mais la marche fait aussi du bien au mental : la marche est une attitude positive : on se met debout et on avance (on n’est pas à quatre pattes et en arrière ou immobile !). Nietzsche disait que « seules les pensées qu’on a en marchant valent quelque chose et traitait les philosophes sédentaires de « cul-de-plomb » ; Kant faisait sa promenade quotidienne et Rousseau vantait les plaisirs du promeneur solitaire
Le marcheur quitte son quotidien ; à mesure qu’il avance, il oublie ses soucis habituels et s’ouvre à ce qui l’entoure : les paysages, les animaux, les hommes ; ses sens sont sollicités et par-delà ses sens, son émotion, mais aussi son raisonnement : pourquoi telle chose, telle vie à tel endroit ? Ceci est surtout vrai quand la marche dure plusieurs jours ; on ressent alors une véritable libération.
Le marcheur peut être solitaire (comme Rousseau) et la marche permet alors une réflexion distanciée sur sa propre vie ou en groupe ; mais le marcheur peut être aussi accompagné ; il choisit alors ou non de discuter avec ses compagnons de marche, qui sont dans le même « équipement » que lui et en quelque sorte « à égalité » : pas ou peu de différence de classe entre des marcheurs ! L’éloignement du quotidien facilite l’ouverture à l’autre et donc l’enrichissement réciproque : pas d’enjeu de pouvoir dans l’immédiat !
Enfin la personne qui marche s’ouvre certainement « à plus grand que lui » et donc cultive sa dimension spirituelle. Qui n’a pas ressenti l’immensité du monde en marchant vers les sommets ou sur une plage déserte et en a éprouvé un émerveillement, surtout s’il est dans le silence ; il pourra même faire l’expérience qu’il est un élément de ce cosmos et en sentira une sorte de paix profonde.
Dans ses rencontres avec les personnes qui l’accompagnent ou qu’il croise sur son chemin, le marcheur pourra sentir dans des regards, des attitudes et au-delà des barrières de langues ou de traditions, l’unicité de la Vie …à condition de garder son esprit ouvert.
Quand il rentrera chez lui et retrouvera ses occupations, il s’efforcera de garder en lui cette impression d’universel ; elle l’aidera dans ses choix et à traverser les épreuves.
Tout cela, j’ai pu le vivre, c’est pour cela que je vous le confie avec humilité, comme un bien précieux.
Remontée des groupes
Les participants ont ensuite été invités à prolonger la réflexion en petits groupes sur la question : « à partir de votre expérience de la marche, quels fruits en avez-vous retirés ? »
En voici les principales remontées :
- La marche relativise l’agitation que l’on vit ou dont on vient de s’extraire.
- Elle nous éloigne des préoccupations journalières.
- Elle apaise les tensions (présentes ou préalables) d’un groupe. La nature favorise et permet un retour à l’essentiel : se nourrir, boire …
- Elle nous prépare à écouter (par exemple, une nonne bouddhiste).
- On réfléchit mieux, on se prend à prier.
- Elle nous apporte du recul et de la hauteur.
- Ça donne de la persévérance.
- Elle Facilite le partage (un morceau de pain ou quoi que ce soit d’autre)
- Elle nourrit les relations humaines.
- Elle aide à trouver du silence et nous permet de nous élever.
- Elle simplifie la relation. Le partage s’avère plus spontané.
- Une façon de vivre au temps de l’humain.
- Avec elle, l’irruption de la beauté de la nature, le soleil, les fleurs, les ruisseaux, l’air pur.
- Elle permet de se délester du superficiel, de se purifier.
- Elle change le rapport de valeur aux choses, aux biens, aux relations, à la nature …